« Un poisson sans bicyclette » d’Isabel ASCENCIO

un poisson sans bicyclette

Quatrième de couverture : «Aux Frêles, on a trouvé le lieu ad hoc où installer la communauté libérée. Une vieille ferme inoccupée de l’arrière-pays varois, idéal pour faire la nique aux oppressions tristes. Jane est d’accord, son french lover jouera de la musique et leur petite Hannah O lui pèsera moins avec tout ce monde autour. Lise, elle, les voit venir. Ce débarquement bruyant près du village l’enchante, parce qu’autrement, entre chasseurs et gendarmes, c’est la mort. Elle espère bien qu’un des chevelus de la ferme la tire d’ici. C’est qu’à treize ans on a un petit vélo dans la tête et on s’invente des âmes sœurs en un rien de temps.»

Alternant le point de vue de Lise et de Jane, l’auteure nous replonge en plein été 1976, au gré d’une oralité énergique et inventive. Elle explore leurs désirs d’émancipation en butte aux résistances du monde, raconte de l’intérieur certaines désillusions et laisse à chacune le temps de sa métamorphose.

Avis :

Dans les années 70 au coeur d’un petit village du sud de la France, la canicule fait rage cette été. Lise est une jeune fille de 13 ans qui parcourt sans cesse les routes et chemins désertiques sur son vélo. Elle rêve de s’enfuir vers la mer, là bas. Lorsqu’une communauté de jeunes hippies aux idées utopiques s’installe aux Frêles, c’est l’attraction du village. Jane, une anglaise, et sa petite Hannah O font parties du groupe. Jane espère avoir l’opportunité d’une vie libre avec son homme et sa petite mais les désillusions la rattrapent en vitesse. Au coeur du village, les chasseurs et les gendarmes guettent et n’approuvent pas la présence de ces gens libérés. Lise pourtant est attirée par l’un des chevelus, le plus massif et espère qu’enfin la liberté se présente à sa porte.

L’auteure a pris le parti d’un roman à deux visions, tantôt celle de Lise, tantôt celle de Jane. C’est plutôt réussi même si l’on s’attache davantage au point de vue de l’adolescente qu’à celui de l’anglaise.

Lise est une jeune adolescente vive d’esprit, aventureuse et fouineuse. Elle s’ennuie ferme dans ce village perdu où il ne se passe jamais rien. Un père bourru souvent ivre pour noyer sa peine, une mère inexistante, elle cherche à fuir sa vie en grimpant chaque jour sur son vélo. Sa rencontre avec Vince, l’un des membres de la communauté va la bouleverser. C’est décidé, c’est lui qui l’enlèvera, l’amènera à la mer avant de l’achever s’il le faut pourvu qu’elle quitte enfin ces terres ennuyeuses. Une soif de liberté, un besoin de s’émanciper et une envie d’extraordinaire la poursuit tout au long du récit.

Jane est fragile, dépendante des autres et se sent incapable de rien. Elle a fui ses parents, son pays sur un coup de tête et elle traîne un passé douloureux incestueux. Elle rencontre Grand Koudou lors d’un festival, se découvre passionnément amoureuse et suit les idées loufoques et utopiques de ce gourou d’un nouveau genre. Ensemble , ils auront Hannah O, une petite fille discrète et qui ne parle pas et dont Jane a beaucoup de mal à s’occuper « comme il faut ». Lorsque Grand Koudou décide de créer une communauté libre idéalisée où l’homme et la femme pourront vivre en toute égalité, selon leur envie et assouvir leurs besoins primitifs, Jane le suit. Mais l’Anglaise déchante rapidement, aux Frêles, il fait très chaud et la vie en communauté accentue sa solitude et sa fébrilité.

Isabel Ascencio a écrit un roman sur la liberté et le besoin d’émancipation des femmes dans les années 70. C’est très féministe, il suffit de comprendre l’origine du titre du roman,  issu d’un slogan anglais, pour se mettre dans l’ambiance. Au travers de plusieurs portraits féminins ; une femme dépendante, une féministe homosexuelle, une femme africaine originaire d’un village abandonné par les hommes, une femme plantureuse, aguichante et amoureuse de son homme, une petite fille à la limite de l’autisme et une femme-enfant aux idées passionnées et extrêmes, on ressent l’atmosphère hippie de ces années d’émancipations féminines et les barrages masculins auxquels chacune s’est heurtée avant de s’imposer ; un père abusif, un père perdu dans son rôle éducatif, un père déconnecté et avide de femmes ou des compagnons machistes. Chacune se rend compte à sa façon des possibilités d’indépendance. L’ensemble du roman est donc agréable et réfléchie mais l’absence de fin concrète ternie un peu notre lecture. L’histoire se clos sur une fin inachevée qui laisse donc le choix au lecteur de s’imaginer ce qu’il peut se passer. C’est plutôt perturbant et frustrant, on en reste sur notre faim car enfin les personnages avaient trouvé quelque part ce qui leur manquait pour avancer. Le tout est amené par l’écriture de l’auteure très stylisée et personnelle, parfois déroutante, on a cette impression de mots manquants pour satisfaire pleinement la compréhension du lecteur et facilité sa lecture, on finit cependant par se faire à ce style unique et très posé.

En bref, Un poisson sans bicyclette est un de ses romans de vie qui fait réfléchir et qui, riche de protagonistes brutes, écorchés par la vie et d’environnements traditionnels, ne nous laisse pas indifférent. Un beau livre à découvrir.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour cette jolie découverte.

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