« Stéréotypes » de Gilles ABIER

Quatrième de couverture : La Dernière Guerre et la folie des hommes ont failli anéantir l’humanité. Pour éviter une nouvelle catastrophe, les survivants ont établi une société basée sur la Synthèse. Le trait de caractère principal de chaque individu est déterminé parmi neuf Types, et le numéro du Type est tatoué sur son poignet droit. Ainsi, chacun est censé vivre en paix selon sa personnalité profonde. Mais, les années passant, une hiérarchie s’installe et empêche que des liens se nouent entre des personnes de Types différents. Cachés dans des cités souterraines, des jeunes gens entrent en résistance contre la Synthèse au nom de la liberté d’être ce que l’on est et d’aimer qui l’on veut.


Une dystopie à l’univers sympathique, aux réflexions profondes mais ternie par des personnages qui manquent de profondeur et de caractère…

Dans un futur proche, la guerre a fait des ravages sur la Terre. Les hommes assoiffés par la violence et le pouvoir se sont entre-tués, laissant une poignet de survivants. Ces derniers dans un but de faire perdurer l’humanité ont régi la société selon ce qu’il nomme la Synthèse. A sa naissance, chaque être humain est testé pour définir son caractère dominant parmi neuf types ensuite un chiffre est tatoué sur son poignet. Afin de vivre en paix, ceux qui gèrent la société ont décidé d’endurcir la synthèse en imposant à chacun des types de vivre entre eux, les relations extra-type sont interdites, et si les enfants ne sont pas du même type que leurs parents, ceux – ci leur sont retirés. Dans l’ombre toutefois, des hommes montent une résistance à cette forme de dictature ségrégative afin de retrouver une once de liberté, d’avoir le choix de vivre avec ceux qu’ils aiment et ne plus être cantonnés à un numéro.

L’univers développé par l’auteur est intéressant : réduire l’être humain à un trait de caractère, lui imposer des relations avec des personnes qui lui sont proches, qui lui ressemblent, tout cela pour maintenir un ordre sociétal pacifique. On est là dans une réflexion sur l’individualité et la différence, thèmes très actuels. Le sujet est abordé de façon tranchée et manichéenne, des traits de caractère qui sortent du lot et qui s’imposent d’eux mêmes, d’autres au contraire sont mal vus car plus dérangeants, trop curieux ou « innovants », évidemment ce sont les plus « individualistes » artistiques et ouverts d’esprit qui poseraient problème, là où ceux qui s’imposent sont plus « perfectionnistes » mais pas forcément plus justes… Ces neufs types sont un reflet des traits de caractère dominants de notre propre société (allez voir l’enneagramme) avec un regard sur ceux qui s’imposent davantage que d’autres, sous prétexte d’avoir le pouvoir ou les moyens nécessaires, souvent obtenus par un héritage valorisé ou une motivation extrême.

Résultat de recherche d'images pour "stéréotype gilles abier"Extrait des neufs types (source : Stéréotypes de Gilles Abier)

C’est assez perturbant de voir qu’au final, dans cette société inventée par l’auteur, ce ne sont pas ceux qui sont bons, ceux qui sont justes, ceux qui portent un regard différent qui gèrent la population humaine, mais davantage ceux qui prônent la force, le travail, le pouvoir, ceux qui sont plus puritains et idéalistes avec un regard très conservateur de l’homme, de son environnement et de sa relation aux autres, souvent des êtres qui ne se satisfont pas de ce qui est, de ce qu’ils ont, avec toujours cette envie d’aller plus loin, de dériver vers leurs propres conceptions de la perfection.

Et cette perfection, va même jusqu’à orienter notre réflexion sur la génétique, sur le choix des traits caractéristiques des enfants à naître par exemple, en soit c’est un concept effrayant ! Plus aucune liberté naturelle, plus de spontanéité mais au contraire, une société qui établit des codes, des lois, dont il est très difficile de s’écarter un tant soit peu. Pourtant, si on réfléchit  bien, on touche du doigt ce genre de choses qui pourraient être notre avenir. Et c’est là que s’en est déconcertant, l’auteur n’a fait que piocher dans notre réalité des bases qu’il a poussées à l’extrême. L’ouvrage ouvre donc au final à la tolérance, à la différence, aux relations de tout type, finalement l’amour ne peut être codifié, cela ne s’explique pas, ne se calcule pas et un enfant ne se choisit pas.

Mais mise à part toutes ces idées fort intéressantes, le roman a une intrigue basée sur la résistance de toute cette hiérarchie qui s’est plus ou moins imposée, mettant en scène de jeunes protagonistes, qui prônent la liberté d’être et d’aimer. Soyons honnête, l’intrigue met un peu de temps à démarrer, c’est assez long d’entrer dans cette histoire, mais cela va s’accélérer dès le premier tiers du récit. Le fond est juste et très prenant, la forme un peu moins. Étonnamment, on a beaucoup de mal à s’attacher aux personnages, pourtant il y a matière car ils sont nombreux, avec des intrigues parallèles, d’un côté ceux qui vivent en marge de la société dans des milieux souterrains, et d’autres appartenant à la société elle – même, des résistants ou des protestataires, mais aussi des hommes engagés et prônant le conservatisme de celle-ci. Peut-être sont ils trop nombreux, tout est qu’ils manquent de caractère, de force et de profondeur, avec des réactions soient trop faciles, soient incompréhensibles qui laissent perplexe, finalement les relations des uns et des autres va trop vite et les amourettes (trop nombreuses) sont plus agaçantes que constructives.

Pour en citer quelques uns, Val est l’héroïne, une battante que rien n’arrête, Galien, un jeune homme qui n’est pas né au bon endroit, Topher est le propre du résistant, celui qui croit quitte à tout perdre, Shemsi, un jeune homme qui découvre une vérité qui pourrait tout changer,  Arsène, le personnage à détester, Djino, un orphelin dominé et exploité, Roscoff, un adolescent courageux, 6ter, encore un qui n’est pas né du bon type, Hawa, une petite fille qui porte un regard artistique sur le monde, ça c’est pour les plus jeunes, ensuite, on a Aurora, une mère aimante et pacifique, Eran, un idéaliste extrémiste, Francky, un vieux roots attaché à sa liberté,  Petr, un homme amoureux aux idées fortes, Argo, un père maladroit à l’apparence trompeuse, Shelif, le tatoueur solitaire, pour les adultes et j’en passe, des individus tous très différents ayant tous un rôle à part entière, déterminant et important dans cette histoire.

Ce que j’ai trouvé au contraire plus innovant et fort, c’est que l’auteur n’est pas tendre avec ses personnages, il y a des morts, des blessés, beaucoup de douleurs dans ce combat acharné, des dommages collatéraux, des sacrifices, c’est parfois très violent physiquement mais surtout moralement. Certains personnages doivent encaisser. Par ailleurs, pour une littérature destinée à des adolescents, le thème de la sexualité est abordé de manière assez crue et directe, on pense essentiellement à la relation de Djino et Arsène, qui est passionnelle plus qu’émotionnelle, et qui en dit long sur la place du sexe dans les relations « amoureuses ». Pour résumé, le roman n’est pas édulcoré.

A côté de cela, le rythme est suffisamment soutenu pour maintenir notre intention tout au long du roman et nous donner envie de connaître le dénouement de cette histoire. Gilles Abier écrit bien et simplement, on est dans une littérature jeunesse, cela se lit donc vite. Un peu plus de complexité à l’intrigue et des personnages plus fouillés auraient rendu certainement ce roman plus passionnant. Au final à trop jouer avec les codes, il s’est un peu englué et ne tient pas toutes ses promesses. Malgré tout, il fait son boulot, il divertit, il se lit bien et aborde beaucoup d’idées. A découvrir.

Je remercie les éditions Actes Sud Junior pour ce nouvel envoi surprise !

Cet article, publié dans Chroniques, Science fiction, est tagué , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

5 commentaires pour « Stéréotypes » de Gilles ABIER

  1. Xander dit :

    Oh ça a l’air sympa ! 😲😲

  2. Fred K dit :

    Encore une dystopie à la Divergent (qu’était déjà pas bien fameux…) et consorts (qui ne le sont pas davantage). Vu ce que tu en en dis dans ta chronique, c’est dommage, parce que l’idée était intéressante et ouvrait une porte évidente à une réflexion sur la littérature, la notion de personnage ou encore les genres (je pense à la manie de vouloir faire entrer chaque bouquin dans une case bien définie ou encore les clichés et stéréotypes qui perdurent sur les « mauvais » genres).

    • Walkyrie dit :

      Oui c’est à peu près ça. Les réflexions sont omniprésentes mais auraient méritées d’être valorisées par des perso qui ont de la « gueule » ou une intrigue moins évidente.
      J’ai tout de même passé un bon moment ! 🙂

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.