« L’enfant qui arpentait ses rêves sur des patins de soie » de Pierre

Quatrième de couverture : Par un très vieux soir de guerre, le Toine voit son père descendre l’allée gelée des premiers grands froids de janvier. Il est mené par deux gendarmes et un autre homme vêtu d’un long manteau de cuir sombre. Il ne le reverra jamais. Dès lors, Le Toine est orphelin. Il grandira mais dans son esprit, il va rester petit.

Dans son village en Auvergne d’altitude, sa vie suivra un parcours délicat. Pourtant, c’est avec une lointaine et douce indifférence qu’il en reconnaîtra le chemin. Il entend parler de la mer… ou l’océan, il ne sait pas très bien. Il se dit qu’il aimerait bien la rencontrer, la mer… ou l’océan. Il attend d’être seul, le soir, pour dans ses rêves l’imaginer. Quand il la verrait, cette étendue d’eau si vaste que les bateaux eux-mêmes s’y perdent, il saurait bien la reconnaître…

Le Toine, c’est un être qui, comme la terre et d’autres êtres en ce lieu un peu rond des montagnes d’Auvergne, souffre. Mais il regarde les souffrances de ses grands yeux étonnés, la tête un peu penchée, comme un qui, du monde, chercherait encore à s’émerveiller. Lui sera-t-il donné, au long de cette vie pas toujours très bien traitée, de le trouver enfin, le sentier qui mène à la mer-océan ?

— Chronique —

L’enfant qui arpentait ses rêves sur des patins de soie, des mots qui résonnent dans notre imaginaire, des mots qui sonnent comme l’histoire d’un gamin qui rêve d’une reconnaissance sportive sur des patins à glace ? Un gamin démuni, issu d’un monde éteint à peine a t-il mis pied sur terre ? Voilà, ce que ce titre m’a inspiré la première fois que je l’ai lu, il vend du rêve ce titre, de la poésie, de l’enfance, du bonheur en somme. On y voit beaucoup d’autres choses mais certainement pas ce qu’il contient, ou du moins qu’une partie.

Le Toine est un petit garçon solitaire et certainement un peu autiste quand son père est embarqué un soir par les gendarmes. En temps de guerre, il parait que cela arrive souvent. Laissé seul et à l’abandon, le Toine arpente les flancs des montagnes auvergnates à longueur de journée, s’éveille au moindre bruits des bestioles qui peuplent les sous-bois environnants et tente de survivre à un froid rigoureux, mais éphémère, le printemps est de nouveau là. Et puis un jour, il entend parler de ces grands navires qui voguent sur l’océan, des navires qui contiennent de quoi nous sortir de cette guerre qui vient blesser les terres, déstabilisé le cœur apaisé des animaux et effrayé le peu de courage qu’il reste à une population affamée et démunie. La Guerre, l’Océan, Le Toine vit bien loin de ces remous, dans sa bulle, seul, perdu dans les rêves de l’enfance, il grandit toujours dans l’écho de cette guerre qui n’en finit pas, le temps passe et grandit en lui ce désir d’Océan toujours plus grand. Mais l’apparition de Tiphaine va faire basculer tout ça.

Ce roman est très atypique. D’un côté d’une poésie onirique dense et pesante qui vient s’installer sur nos yeux comme un voile de douceur, une lenteur s’installe, on apprécie chaque mot, chaque description, chaque élément au travers du regard du Toine, au travers du regard de l’enfance, on est transporté, baladé, un peu chahuté aussi mais toujours cette sensation d’être ailleurs, l’écriture de l’auteur à quelque chose d’apaisant, d’intemporel, on se retrouve dans une bulle, toujours celle de Toine, enveloppé de coton, on avance à pas lent mais toujours conquérant. D’un autre côté, c’est saccadé, brutal, il y a de l’horreur entre les mots de l’auteur, entre chaque ligne des non-dits qui écorchent l’esprit, des paragraphes qui viennent s’agglutiner sans transition, du passé qui se mélange au présent, on avance le cœur serré pour ce Toine qui ne mérite pas ce qu’il subit, vit, entend et devient… Cela forme comme une boule d’angoisse, il n’y a rien de pire que ce que l’on ne voit pas ou l’on ne nous dit pas.

Tout est dans cette dualité, la douceur des mots, l’innocence de l’enfance, les rêves d’un gamin émerveillé par une nature aimante et bouleversante, entachés par la violence des actes, une guerre infinie, une solitude abusée et un avenir morne et triste. Le genre que l’on aime ou pas, il n’y pas d’entre – deux ici, c’est tout ou rien. On sent que l’auteur doit être très humain, très émotif, c’est toujours à vif, et Pierre use d’un style subtil et élégant, la poésie rôde à chaque phrase, c’est très imagé, très sensoriel tout ça, on n’a parfois qu’une envie rejoindre le Toine épris de liberté et courant à vive allure dans le vent.

En bref, les éditions de l’Astre bleu ose une sortie littéraire intéressante qui, à mon sens, n’est pas forcément faite pour plaire au plus grand nombre, mais peut-être davantage à ceux qui gardent au fond du cœur un peu d’enfance, un peu d’humanité, un peu d’innocence, qui sauront lire au delà des mots, ressentir surtout. L’auteur a choisi une bien drôle de manière de mêler autisme (peut-être me trompe-je, mais je reste persuadée que le Toine est un peu autiste) et guerre plantés dans un décor rustique, nature et surtout vivant, le tout écrit avec beaucoup de poésie. Une œuvre originale!

Je remercie les éditions de l’Astre Bleu pour ce nouvel envoi bien différent de leurs autres ouvrages mais qui garde leur esprit d’humanité.

— Lu dans le cadre du suivant —

franco10

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2 commentaires pour « L’enfant qui arpentait ses rêves sur des patins de soie » de Pierre

  1. Fred K dit :

    C’est le genre qui m’aurait parlé plus jeune, maintenant peut-être moins… j’accroche moins qu’avant aux récits à tendance onirique ou poétique… je sais pas… En tout cas, très belle chronique !

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